On a rencontré Cédric Cheminaud et Christian Allex qui ont partagé leurs secrets concernant la programmation, l’organisation et le déroulement d’un festival. La Magnifique Society et Le Cabaret Vert sont organisés par ces deux directeurs artistiques pleins de sympathie et d’expérience. Venez découvrir avec eux ce qui se cache derrière la préparation et la mise en place d’événements majeurs !
Bonjour Cédric, Christian, pourriez-vous nous expliquer vos parcours respectifs?
Cédric: Je suis le directeur de la Cartonnerie à Reims et cela fait actuellement 10 années que j’y travaille. En tant que directeur artistique et général cela va faire 3 ans et je dirige aussi la “La Magnifique Society” .
Avant la Cartonnerie je travaillais pour l’association régionale des MJC, la “musique” c’est plus un parcours associatif; j’ai organisé des concerts depuis ma terminale, j’ai toujours été lié à la “culture” .
Christian: Je suis en charge de la programmation de la Cartonnerie et de la direction artistique pour le festival “La Magnifique Society” avec Cédric. Je travaille aussi pour d’autres événements à côté car je suis programmateur indépendant. Avant d’être dans ce domaine, j’ai fait une école de presse à Lyon, j’ai organisé des festivals et des concerts, j’ai travaillé pour un club à Dijon qui s’appelait “l’An-fer” ; à l’époque c’était un club assez reconnu nationalement tout comme le “Rex” , on recevait les gros noms de l’époque dans une atmosphère légère. En 2000, j’ai rejoint l’équipe des “Eurockéennes de Belfort” pour gérer la direction artistique. Après 11 années, j’ai décidé de monter ma propre boîte tout en continuant d’aider à la programmation des “Eurockéennes” ainsi que d’autres festivals comme “Le Cabaret Vert” en indépendant.
Avec Christian, on a tout remis à plat; définir un lieu, l’atmosphère du festival, le type de programmation ainsi que sa durée. Et de ces réflexions est né La Magnifique Society !
Aujourd’hui c’est la seconde édition de “La Magnifique Society” , pouvez-vous revenir sur la création du projet et sa mise en place ?
Cédric: En fait pendant 13 ans la Cartonnerie a porté un autre festival, “Elektricity” , né à l’origine d’une volonté d’un artiste, Yuksek, et la Cartonnerie l’accompagnait dans la mise en oeuvre ainsi que la logistique.
Après 13 années de bons et loyaux services, quand je suis arrivé à la DA de la Cartonnerie, j’ai voulu assez vite proposer quelque chose de nouveau. Un projet plus en adéquation avec ce que l’on faisait au niveau de la salle et ça correspondait aussi à l’époque où “Elektricity” commençait à moins surprendre. Alors on s’est posé deux hypothèses:
- Soit on garde le même projet tout en le réinventant, afin de redonner un souffle à “Elektricity” .
- Soit on fait table rase et on part sur un nouveau projet avec une perspective beaucoup plus longue et une ambition plus forte.
De ces idées on a opté pour la seconde tout en gardant les points positifs de “Elektricity” . Avec Christian, on a tout remis à plat; définir un lieu, l’atmosphère du festival, le type de programmation ainsi que sa durée. Et de ces réflexions est née La Magnifique Society !
La Magnifique Society a simplement fêté sa seconde édition et pourtant on ressent déjà l’ambition de ce festival, “un rassemblement qui a tout d’un grand” . On ne va pas se le cacher, vous avez déjà réalisé quelque chose de grand, une programmation fournie et équilibrée, un cadre idyllique, mêler des artistes en développement à des grosses têtes internationales, on a vraiment la sensation que vous existez depuis 15 années. Est-ce qu’il y a eu une prise conscience à propos de ce que vous avez créé ?
Christian: En fait c’est le plus dur, aujourd’hui tout le monde peut avoir des groupes, des têtes d’affiche. Après savoir mêler les choses, les agencer, c’est à ce moment que réside toute la difficulté; créer une harmonie qui correspond à la volonté de ton festival. Pour nous c’était le site, le lieu était le plus important, quand on a déménagé du parvis de la cathédrale et obtenu l’autorisation de pouvoir organiser l’événement dans le parc de Champagne, c’était “50%” du festival réussi. Ce parc il offre un cadre exceptionnel, que ce soit au public comme aux artistes, il y a une sorte de communion autour de ce lieu naturel.
Cédric: On m’avait déjà fait la réflexion que tu viens de poser et ça m’avait fait penser à une publicité automobile qui reprenait un concept : “Elle a tout d’une grande…” tout en étant une petite voiture. Pour nous c’est le même état d’esprit face à ses retours, après avec Christian on est sensible à cela mais on ne veut pas non plus se prendre pour ce que l’on est pas. Il faut être réaliste, quand tu organises un gros festival, c’est énormément de contraintes et de figures imposées alors que dans notre cas on est totalement libres. Une fois que tu es installé sur un rythme de gros festival, tu perds le côté spontané de “vivre ton propre festival” , tu vas être beaucoup plus concerné par les objectifs et la réussite.
Christian: On n’est pas grand par les têtes d’affiche, on fait des “erreurs” de jeunesse sur la manière d’implanter le festival. Il y a beaucoup de choses qui sont les bases d’un festival qui ne sont pas encore là, la programmation c’est bien, l’organisation c’est mieux ! Si on prend notre gros point noir, la fluidité de circulation, les gens ont attendu trop longtemps, cela fait partie de la jeunesse, c’est une chose que l’on doit régler. Après, il faut rappeler que ce n’est que la seconde édition, on doit affiner, perfectionner ces bases avant de pouvoir se voir plus “grand” .
Au final, si on regarde et que l’on fait un point, le seul bémol de cette édition aura été le manque de fluidité au niveau des files d’attente et le fait que le système des rubis ait montré ses limites face à énormément de festivaliers (Monnaie alternative du festival ndlr) ?
Christian: On y pensait justement au bracelet “cashless” , seul bémol, on ne peut pas encore le mettre en place car l’installation réseaux ne le permettait pas cette année.
Cédric: Il faut se rendre compte aussi de la difficulté du lieu, c’est un pari assez dingue. Pour ne rien cacher, ici il n’y a pas de point d’eau, d’électricité, pas d’internet et en une semaine tu dois installer tout cela pour pouvoir mettre l’organisation et le public dans les meilleures conditions. Et c’est tout à fait normal, les gens attendent un niveau d’accueil que tu retrouves dans tous les festivals professionnels. Personnellement, on a cette ambition de se placer comme un festival professionnel donc c’est normal d’assumer les critiques sur nos prestations. Ce que l’on peut assurer aux festivaliers et aux personnes qui suivent La Magnifique Society, c’est que l’on donne le maximum pour vous satisfaire et corriger nos erreurs !
Christian: Après c’est aussi une question d’habitude pour le public, ce n’est que la seconde édition. J’aime prendre comme comparaison une station de ski, quand tu arrives, les premiers jours tu vas fortement faire la queue pour avoir ton forfait, ton équipement etc. Mais à la différence, les gens sont habitués, ils ont leurs repères et cela ne les dérange pas. Ici on n’est pas encore dans un endroit où les gens possèdent leurs petits trucs, du coup, tu te retrouves avec une grande partie des gens qui vont faire la queue en même temps pour une boisson ou un repas.
C’est souvent une jauge difficile pour un spectateur, on aime avoir son petit confort, acheter sa boisson, sa nourriture, avoir sa monnaie pour pouvoir enfin profiter de la programmation. Dans tous les cas c’est un bémol qui n’a pas entaché la bonne tenue de ce festival.
Revenons à la phase préparatoire d’un festival. Comment se déroule l’organisation, la programmation, on s’y prend des mois à l’avance, mais il y a beaucoup d’interlocuteurs… Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Cédric: La programmation on la commence nettement en avance, on essaye d’être fixé, mais on se donne toujours une certaine liberté de la modifier. Généralement cela s’enclenche 8 mois avant l’édition où sur les têtes d’affiches, Christian part à la chasse. Nous on voulait aller assez vite en annonçant des gros noms au mois de décembre afin de positionner le festival, cela permet au public de découvrir l’univers de l’édition. L’année dernière, on a beaucoup parlé de la “patte” du festival mais l’artistique on ne l’avait pas mis en valeur.
Du coup pour cette édition, l’objectif que ce soit au niveau de la programmation comme de l’organisation était de mettre en avant l’artistique ! Je pense que l’on a rempli nos objectifs, on regardera attentivement les retours des festivaliers pour infirmer ou confirmer notre ressenti.
Il y a une signature à votre programmation et même sur tout votre festival, c’est un lien entre deux pays, le Japon et la France. Comment cela est-il venu à votre esprit, lier deux cultures, les représenter artistiquement ?
Christian: Cela s’est fait assez naturellement, y a deux ou trois ans, on m’a invité au Japon pour un festival. Lors de ce séjour, on a rencontré pas mal de professionnels, de labels, des agents et notamment Naoki Shimizu, fondateur de Creativeman Productions. C’est un énorme producteur de festivals, je crois qu’il en a 20 à l’année au Japon, dont le Summer Sonic qui est un grand rendez-vous là-bas. De ces rencontres mais aussi des bons moments passés sur place, on a décidé de mettre en place une atmosphère “japonisante” pour La Magnifique Society. On voulait qu’il y ait cette découverte autour de cette culture et que ce soit aussi un partage entre les deux pays.
L’année dernière on avait emmené Last Train et Fishbach, cette année c’est Orelsan, Vladimir Cauchemar et Moodoïd qui ont représenté la France. Cela permet aux Japonais de découvrir aussi notre culture musicale et ils ont d’ailleurs tous reçu un accueil chaleureux. C’est une expérience unique pour nous mais aussi pour les artistes qui nous ont fait des retours émouvants à propos de leurs souvenirs.
Honnêtement on est comme des adolescents, on a plein d’idées en tête, il y a des envies plus ou moins fortes, après on ne se fixe rien hormis le fait que l’on continuera de développer l’atmosphère et l’univers du festival.
Justement, il existe un état d’esprit atypique autour de ce festival, j’ai eu l’agréable surprise de voir qu’entre les artistes japonais et français / internationaux il y avait énormément de partage. Un certain respect et un échange qui n’existe pas ou peu dans d’autres événements. Généralement les artistes se croisent, se saluent et puis repartent. Ici c’était tout autre, on pouvait voir de longues conversations sur les styles et les univers ainsi que l’intérêt porté sur différents projets. Avez-vous pris conscience de cette vertu ?
Christian: Tout à fait, mais tu sais sur des petits festivals comme le nôtre, il y a plus de possibilités de rencontre ou d’échange.
Cédric: Je pense que c’est aussi le système de valeurs du festival qui créé cette atmosphère. C’est exactement ce que l’on veut défendre que ce soit du côté des artistes comme des festivaliers. Le titre “La Magnifique Society” n’y est pas étranger, c’est quelque chose que l’on a positionné de manière très ouverte. On a conçu les conditions de la rencontre et après il se passe ce qu’il doit se passer.
Quand on va au Japon ce n’est pas pour rentabiliser des tournées d’artistes, c’est avant tout pour l’échange ! L’idée est de rebondir, de trouver de nouvelles choses à apporter pour les prochaines éditions, de proposer au public d’autres opportunités.
Je pense que vous avez bien transcrit cette idée de festival “en mouvement / développement” constant, que peut-on attendre des futures éditions ?
Cédric: Honnêtement on est comme des adolescents, on a plein d’idées en tête, il y a des envies plus ou moins fortes, après on ne se fixe rien hormis le fait que l’on continuera de développer l’atmosphère et l’univers du festival. D’ailleurs, c’est pour cette raison que cela nous convient d’être un “petit” festival, on a une marge de manoeuvre beaucoup plus grande que d’autres.
De toute manière on n’a pas envie de se dire : “Aujourd’hui on est à 8 000 festivaliers par jour, donc l’année prochaine on monte à 10 000 alors il faut rajouter une scène etc.”
Notre objectif est avant tout de solidifier les bases de ce festival et de le perfectionner tout en créant chaque année une nouvelle dynamique.
Sur ce festival il existe 3 scènes (Grande Scène, Central Parc et Club) très équilibrées, il n’y a pas cette impression de seconde ou troisième scène comme dans les festivals classiques. Que ce soit en terme d’espace scénique ou de capacité vous avez mis en place une équité pour les artistes. Étais-ce un choix dans la programmation et l’organisation de base ou cela s’est-il fait naturellement ?
Christian: Encore une fois je pense que cela s’est fait naturellement.
Quand tu regardes le site, il n’est pas immense, du coup cette “Grande Scène” n’est pas démesurée par rapport à celle du “Club” .
C’est ce rapport-là qui est intéressant sur le site. La première fois, quand on a visité le parc et commencé à réfléchir où positionner le festival; on aurait pu choisir l’hippodrome où il y beaucoup d’espace et il est plus simple d’organiser la disposition. D’ailleurs il y avait quasiment tout, mais il manquait le point essentiel, le cadre idyllique que procure le fait d’être au coeur d’une forêt.
Cédric: On a construit le festival sur le parc, même en communion avec celui-ci. Par exemple on se baladait, on voyait un espace où la végétation délimitait une zone et on visualisait la future scène. Lors de la visite du lieu, on a vraiment souhaité être en accord avec la nature et respecter celle-ci, on voulait vraiment valoriser le parc et ce qu’il pouvait offrir de plus charmant aux festivaliers.
Quand tu as une conviction sur un groupe, étrangement ça marche ! Il y a un feeling, il faut savoir s’écouter, si tu te prends la tête à savoir si tel ou tel artiste va plaire au public, tu perds le goût de faire découvrir. Cette découverte c’est ce qui régit le spectacle ou la musique, sans cette surprise tu perds le charme d’un festival.
C’est la seconde édition de La Magnifique Society, au cours de ces deux années quel a été votre meilleur moment ?
Cédric: La queue dans les bars ! C’était super, j’ai vraiment kiffé ce moment où les gens m’invectivaient en me croisant (rires). Cela rend humble et ca remet les idées en place. C’est vrai, tu reprends les chiffres, tu te rends compte que ton festival affiche complet 3 semaines avant, tu lévites un peu. Puis tu es tiré de ton petit nuage par la réalité parce que les mecs de ton festival ont vécu la queue à l’entrée, au rubis et au bar. Bon, voilà on en rigole mais c’est important aussi de rester terre à terre, on est à l’image de notre festival, “décontracté” .
Honnêtement Orelsan, surement parce qu’il y a un attachement envers cet artiste. Le fait que l’on ait passé une semaine ensemble à Tokyo, il y a un petit compagnonnage qui est en train de se créer avec lui qui est vraiment cool. Ce n’est pas un “gros” festival dans sa tournée et pour autant il y a eu un partage et un lien unique qui s’est créé autour de sa prestation.
Christian: Je pense pareil, cette semaine à Tokyo avec Orelsan fait partie des bons souvenirs. Tout comme le concert à l’Institut Français avec lui car il y avait une belle énergie. Après le festival ce sont des moments uniques, mais c’est plus des moments généralisés, cela nous marque sur 3 jours jusqu’à la prochaine édition.
Avec l’arrivée du digital et du streaming, on se retrouve avec un marché beaucoup plus vaste. Est-ce que cela a un impact sur la programmation ? Le choix artistique est-il lié à vos coups de coeur ou au buzz d’un artiste / groupe ?
Christian: La première édition, on a réalisé une programmation “élégante” parce qu’on souhaitait qu’elle soit representative de l’image du parc. Moderat, Air, Agnès Obel, Gregory Porter, tous ces artistes convenaient à cette atmosphère “policée” du parc.
Et cette année, on voulait garder l’esprit ainsi que le type de programmation de la première édition tout en ajoutant la “fièvre” , un petit grain de folie.
Cédric: C’est vrai que l’on se pose pas la question du public. Quand on construit la programmation, on est plus à faire un mélange entre différents styles. En fait, c’est surtout comment les choses s’enchaînent, ce que tu veux construire artistiquement et même au niveau de l’atmosphère. Dans notre façon de faire, c’est beaucoup Christian qui propose et moi je rebondis sur ses idées en ajoutant des artistes qui font écho à ses propositions.
Christian: Quand tu as une conviction sur un groupe, étrangement ça marche ! Il y a un feeling, il faut savoir s’écouter, si tu te prends la tête à savoir si tel ou tel artiste va plaire au public, tu perds le goût de faire découvrir. Cette découverte c’est ce qui régit le spectacle ou la musique, sans cette surprise tu perds le charme d’un festival.
Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Cédric & Christian: D’obtenir les chiffres que l’on espère avec La Magnifique Society et le Cabaret Vert. Si on réussit nos objectifs ce sera un signal fort pour la région et pour la suite. Avec deux événements qui ne se cannibalisent pas tout en offrant une programmation éclectique, on sera capable de montrer que la région reste très attractive culturellement parlant.
Voilà c’est la fin de notre interview, vous avez pu découvrir les dessous de la programmation et de l’organisation de La Magnifique Society. On remercie Christian et Cédric pour avoir joué le jeu et ne pas s’être restreint dans leurs propos et leur bonne humeur ! On se retrouvera dans peu de temps pour le Cabaret Vert, autre événement majeur qui prendra place à Charleville-Mézières.